Le fou, un homme libre

Une réflexion sur le statut du fou, un homme en quête de liberté avant tout. Cette approche questionne le pouvoir soignant dans l’organisation et l’application des soins mais aussi dans l’orientation clinique proposée.

Dans ce contexte, le positionnement des "nouveaux métiers" et les connaissances qu’ils apportent est salvateur et porteur de richesse.

Le décor qui constituait la réalité du travail en psychiatrie a complètement changé au cours des quinze dernières années.

Notre propos n’est pas, aujourd’hui, d’analyser les raisons pour lesquelles cette réalité a changé, ni même d’y apporter un jugement critique. Notre intention est juste d’essayer de porter un regard qui puisse nous permettre d’envisager, pour les soins en psychiatrie, un autre avenir que celui qui nous ramènerait vers le passé, dans une attitude délibérément nostalgique.

Considérons un instant que cette réalité n’est pas si mauvaise que ce que certains tentent de nous faire croire. Considérons qu’elle peut constituer un challenge pour la pensée et la réflexion. Considérons qu’elle peut être un magnifique terrain de jeux intellectuels pour ceux qui croient que l’avenir de la psychiatrie se trouve devant elle et non pas derrière.

Cette démarche de l’esprit, résolument positive, est sans doute le point de départ d’une nouvelle conception du soin en psychiatrie. Elle ouvre l’horizon de ceux qui, comme les anciens à leur époque, avaient su transformer le décor pour en faire la psychiatrie que nous avons connu à nos débuts et dont on semble terriblement nostalgique aujourd’hui.

LA PSYCHOTHÉRAPIE INSTITUTIONNELLE

La psychothérapie institutionnelle, dont un bon nombre aujourd’hui chante les vertus, représentait à l’époque où elle fut inventée et développée une solution adaptée. Elle était le résultat d’une constatation, d’une réflexion, qui tout en s’adaptant à la réalité se proposait de la transformer pour un mieux-être des malades qu’elle traitait. L’idée de la psychothérapie institutionnelle était donc une démarche, autant basée sur la pensée, la réflexion, l’adaptabilité à la réalité que la proposition de solutions concrètes ancrées dans les valeurs du soin. C’était une dynamique volontaire, qui a permis à toute une génération de professionnels de la psychiatrie d’apporter aux malades des soins qui leurs permettaient de s’émanciper de la réalité carcérale dans laquelle on voulait les maintenir.

Le courant actuel qui voudrait nous ramener vers les principes de la psychothérapie institutionnelle serait un contresens intellectuel puisque qu’il chercherait à adapter des soins à une réalité qui n’existe plus. Cette intention a certes quelque chose de sécurisant, puisqu’elle nous ramène à des concepts de soins connus, éprouvés et intégrés dans la mémoire des soignants, mais elle montre ses limites lorsqu’elle propose ce schéma aux jeunes générations de soignants. Le droit d’inventaire, si particulier à notre société actuelle, suscite un rejet massif qui finit par produire un fossé entre ceux qui veulent construire à partir d’une réalité contemporaine, la leur, et ceux qui veulent recréer une réalité de soins calquée sur la réalité d’une société qui n’existe plus.

Nous ne devrions retenir de la psychothérapie institutionnelle que le mouvement qui conduisit, par la pensée d’abord et par l’acte ensuite, à transformer le quotidien et finalement la vie des malades qui étaient enfermés dans les hôpitaux psychiatriques. Cette dynamique peut et doit sans doute encore nous inspirer pour inventer le modèle de ce que seront les soins demain, ou de ce qu’on souhaiterait qu’ils soient, et donc chercher les éléments que l’ensemble des soignants auront su créer pour le mieux-être des malades.

L’INSTITUTION AUJOURD’HUI

Il est troublant de constater la façon dont laquelle le terme "institution" est aujourd’hui encore employé. On n’en retrouve l’usage que dans les établissements de santé dont la fonction n’est d’assurer que des soins psychiatriques. Dans tous les autres établissements de santé on emploie plus simplement le terme "hôpital". Il désigne à lui seul le lieu où sont pratiqués les soins. C’est un terme technique. La référence à l’institution dont on retrouve fréquemment l’emploi dans les services de psychiatrie y ajoute toujours une pincée de solennité qui fait référence à des règles. Il serait intéressant de tenter de définir ce que cet ensemble de règles, de lois, ou encore de principes, recèle réellement. Au quotidien, "l’institution" désigne à la fois un lieu et l’ensemble des règles, non écrites, auxquelles elle se réfère.

Cette réflexion devrait être mise en regard de l’opinion de ceux qui pensent que la psychiatrie, pratiquée dans un simple établissement de soins, donc un hôpital, aurait perdu quelque chose de sa nature même. L’expression de cette opinion mêle toujours le regret à quelque chose d’important qui aurait été perdu. On y retrouve, souvent décriée, la présence de la modernité, comme les ordinateurs ou les transmissions ciblées. Autant de critiques diffuses qui, si l’on y prête attention, font toujours référence à des pratiques traditionnellement orales qui se sont transmises de générations en générations. L’ironique pourrait légitimement se demander quels secrets, jamais écrits, pouvait transiter dans cette transmission opaque.

Face à cela on peut rétorquer que les malades, auxquels ces pratiques étaient destinées, ont malgré tout le droit de savoir quelles recettes étaient ou sont encore employées derrières ces grands murs. De quel droit une thérapie, de quelque nature qu’elle soit, ne serait pas expliquée aux usagers auxquels elle s’adresse. Les secrets de la psychanalyse derrière lesquels s’abritent un bon nombre de Centres Médico-Psychologiques aujourd’hui les conduisent à pratiquer des soins occultes sur lesquels les patients n’ont aucun droit ni aucun pouvoir d’évaluation.

Cette posture soignante, secrète, opaque et mystérieuse, maintient la psychiatrie derrière une forme de rempart idéologique. Les murs de l’asile ont été remplacés par les parois diaphanes d’une connaissance difficilement accessible et derrière laquelle les soignants se permettent encore de s’abriter. Elle constitue une forme de pouvoir sur la personne soignée, une autre manière de la rendre dépendante et captive.

L’institution qui était auparavant contenue dans un lieu unique de soins est aujourd’hui une entité éclatée. Elle est morcelée en Centres Médico-Psychologiques, CATTP, hôpitaux de jour, unités d’hospitalisation. Le désir avoué de quelques uns de voir se reformer l’institution telle qu’elle existait avant est une forme de résistance, qui, en fin de compte, ne fait que retarder une évolution devenue maintenant inéluctable.

LE MALADE AUJOURD’HUI

Pour tenter de nous sortir de cette culture du secret nous devrions nous recentrer sur ce qui fait notre raison d’être même : la personne soignée.

Le fait que le fou ne soit plus retenu en détention dans les murs d’une institution devrait constituer une chance, pour ceux qui soignent, de le considérer sous un autre angle, de le regarder d’une autre façon. Certes le pouvoir soignant s’étiole. Mais là où certains ressentent une perte d’identité, d’autres, au contraire, se réjouissent de le voir enfin libre.

Le débat qui s’amorce, et qui nous conduirait trop facilement à penser qu’en psychiatrie la personne à besoin d’un étayage au quotidien, ne résiste pas à son examen d’un point de vue éthique. Pourquoi un homme, étiqueté comme fou, ne pourrait-il pas être reconnu authentiquement libre et autonome ? De quels arguments pourrions prétexter pour décider, qu’en fin de compte, sa vie ne puisse être vécue qu’attachée à des soins ? Même le risque suicidaire, si souvent évoqué, ne devrait pas servir d’alibi à la pérennisation de pratiques qui s’apparentent à l’annexion de la personne soignée. Il ne devrait pas être employé comme une arme de dissuasion impropre à laisser les patients disposer de toute leur liberté.

Le débat autour de la personne soignée en psychiatrie est rarement de nature à pouvoir la considérer comme n’importe quelle autre personne. Alors même que nous devrions partir du postulat suivant : en psychiatrie le malade est avant tout un homme, donc une personne faite de tout ce qui la caractérise, comme n’importe quelle autre, éprise d’un désir de liberté pour devenir et être ce qu’elle est soi-même.

La question est donc plus ontologique qu’anthropologique. Et le débat qui devrait s’instaurer en psychiatrie devrait être centrer plus sur celui de l’homme que sur celui du soin. Autrement dit, la conception des soins aujourd’hui ne pourra être construite que lorsque la psychiatrie aura fait la même réflexion sur l’homme que ce que l’avait faite nos pères lorsqu’ils ont inventé la psychothérapie institutionnelle.

La réflexion menée à son terme débouche naturellement sur celle d’un passage naturel de la psychiatrie à la santé mentale, sur celle de la maladie à la santé. Penser en termes de santé les soins en psychiatrie c’est s’ouvrir à leur avenir et à leur développement en s’affranchissant de ce qui les retient inconsciemment dans le passé.

LA PLACE DU FOU

Une des particularités de la réalité d’aujourd’hui est d’avoir fait sortir les fous des grands établissements psychiatriques bâties sur le modèle asilaire. Aujourd’hui les fous sont dehors, dans la cité, dans la ville, donc plus près de la vraie vie. Les schémas d’organisation de leur prise en charge, qui étaient bâtis à la fois sur le désir de les voir guérir et sur celui de les garder captifs, a volé en éclat. On pourrait évidemment discourir sans fin sur les bienfaits qu’ont tracé les évolutions récentes, ou au contraire se lamenter sur ses effets ressentis comme inopportuns. Nous nous épargnerons ici ce débat pour ne voir en fin de compte que le résultat positif que cela a produit : laisser les fous dehors, libres.


Pour un statut d’Homme "entier"

Considérant alors la personne soignée comme définitivement libre nous pouvons envisager les soins de manière tout à fait nouvelle. Qui aujourd’hui pourrait penser qu’un homme se réduit à des phénomènes chimiques ? Peut-on encore penser en psychiatrie que seule l’intervention au niveau du psychisme du malade pourra le réhabiliter dans son statut entier d’homme ? Il ne viendrait à aucun d’entre nous l’idée de se réduire à un encéphale ou à des mouvements intrapsychiques. Nous inventons et nous créons notre existence en utilisant toutes les possibilités que la nature a mis à notre disposition. Nous jouons de notre corps, de nos sens, de notre pensée. Nous lisons, nous étudions, nous faisons du sport, nous dansons, nous dessinons. Nous ne nous limitons pas aux seules possibilités chimiques de notre cerveau. Pourquoi en serait-il autrement pour les personnes au psychisme malade ?

Des nouveaux métiers

La conception des soins en psychiatrie devrait aujourd’hui intégrer toutes les dimensions de l’homme. Et dans cette réflexion le binôme traditionnel médecin-infirmier ne peut plus se prévaloir de son omnipotence. La pensée commune qui consiste à dire que tout ce qui n’est pas du ressort de la prescription médicale peut être entrepris par l’infirmier est dépassée. On devrait, comme c’est le cas depuis longtemps en pédopsychiatrie, confier beaucoup plus facilement aux professionnels dont c’est le métier la charge des soins qui concernent le domaine de compétences pour lequel ils ont été formés, comme celui du corps par exemple. Fort heureusement les mutations de la société ces trente dernières années viennent à notre secours. Elles autorisent maintenant de façon naturelle de nouveaux corps de soignants à investir le domaine de la psychiatrie et permettent, par un effort minimal d’adaptation, à de nombreuses catégories professionnelles de renter dans les hôpitaux psychiatriques et d’apporter un éclairage nouveau sur les soins.

Le CATTP comme exemple

La philosophie des CATTP est à ce titre exemplaire. Les CATTP sont devenus les lieux où l’on considère que toute la construction extra psychique de l’homme est essentielle, même s’il est atteint de troubles mentaux. L’habilitation passe par la réalisation de soi-même en empruntant des voies qui passent par le plaisir, même si parfois il demande des efforts. Cette dimension éthique des soins qui y sont dispensés ont pour but de renforcer l’estime de soi de chaque patient en lui donnant l’occasion de réaliser des choses qui le rassure dans sa capacité à pouvoir être lui-même. L’intervention de plusieurs catégories de professionnels permet, à partir de leurs compétences respectives, de donner le meilleur aux malades. Il ne s’agit plus d’un bricolage thérapeutique, certes de bonne volonté, mais d’une véritable stratégie pour apporter ce qu’il y a de meilleur aux personnes malades.

Les ergothérapeutes, les psychomotriciens, les animateurs, les intervenants extérieurs avec leurs compétences particulières (danse, peinture, chant, écriture...) mettent à la disposition de ceux qui en ont besoin un niveau élevé de technicité. Les schémas de représentation donnés aux usagers ne sont plus monolithiques mais intègrent la complexité de l’être humain. Elle leur propose les outils pour se construire, ou se reconstruire, à partir de soins différenciés par leur cible et par les objectifs qu’ils visent.

Le fou : un homme libre

La perspective de pouvoir concevoir des soins en considérant que la personne soignée est totalement libre ouvre un vaste espace de recherche qui s’affranchit des griefs qu’on peut faire à l’évolution de la psychiatrie ces dernières années. Elle place le fou dans un périmètre qui dépasse celui des murs des asiles et l’installe dans un espace sans frontière : la cité. Le malade n’appartient plus aux soignants. Il s’appartient à lui-même. On a trop longtemps pensé à la place des personnes soignées. On a trop longtemps construit pour les malades des projets qui ne tenait pas compte de qu’ils voulaient pour eux-mêmes. En retrouvant sa liberté d’homme, le fou peut demander des soins qui lui permettent de l’aider à devenir lui-même. L’éthique des soins devrait se concentrer sur sa capacité à pouvoir rehausser l’estime de soi de chaque citoyen malade. La diversité des métiers que propose maintenant l’organisation du système de soins en psychiatrie est le gage d’une réussite plus certaine du contrat qui lie les professionnels de la santé mentale à la population.

Soins Psychiatrie N°250, Mai/Juin 2007, page 22 à 24. Editions Elsevier-Masson.

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