Psychiatrie et Société

Le thème "Psychiatrie et société" a suscité des échanges qui ont permis de poser les bases d’une réflexion sur le statut et l’avenir des personnes handicapés psychiques dans notre société.

La demande de la société à la psychiatrie

Les systèmes d’exclusion dont les fous, puis les malades mentaux, ont été victimes dans notre société sont une permanence contre laquelle il nous faut continuer de lutter. Alors que les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de lutte contre la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques est une priorité, les politiques, sous la pression du président de la République et du ministre de la Justice, sont en passe d’adopter une série de mesures et de lois qui ne feraient qu’accroitre leur discrimination. L’incompréhension du rôle de la psychiatrie par la population ne fait que renforcer celui de l’enfermement alors qu’en 2013, sur 47000 affaires jugées, seules 233 ont débouché sur un non-lieu pour irresponsabilité liée à un trouble psychiatrique ! De plus, la surmédiatisation des faits divers qui impliquent des malades mentaux dramatise les troubles psychiques, accentue leur stigmatisation et retarde l’accès aux soins des malades en les mettant un peu plus en difficulté pour se construire une vie digne.

Psychiatrie et souffrance psychosociale

Le champ de la santé mentale recouvre désormais une dimension individuelle et sociétale. Les comportements sociopathes, la délinquance, les troubles du comportement, la dépression, le suicide, les nouvelles maladies comme les addictions, le stress au travail ou l’hyperactivité interrogent les politiques. Il est évident que l’on retrouve à l’hôpital des problématiques qui suivent l’évolution de la société et des pathologies en relation avec la culture actuelle. La banalisation de la "sphère psy" dans l’espace public sous entend que la psychiatrie devrait aussi répondre à tous les maux de la société en dépistant, en diagnostiquant et en traitant toute la souffrance psychosociale et ce jusqu’à la violence. Actuellement la psychiatrie publique n’a pas les moyens de répondre à l’inflation de ses missions dans un contexte de politique budgétaire, de réorganisation des soins et d’une démographie de psychiatres qui aura diminué de 40%.

Résistance au changement et hospitalocentrisme

La psychiatrie a longtemps cru que les pouvoirs publics lui permettraient d’échapper à la réforme du système de santé telle qu’elle a été pensée depuis la mise en œuvre du plan hôpital. C’était trop vouloir se bercer d’illusions. La résistance de tous ceux qui s’y sont le plus farouchement opposés n’a fait que retarder l’évolution toute entière du système et de l’offre de soins en santé mentale. Alors même que le nombre de lits en psychiatrie et celui des psychiatres diminuaient de façon constante trop peu d’alternatives à l’hospitalisation ont été créées et mises en place. Un grand nombre de professionnels ont préféré se raccrocher à l’idée que nos gouvernants changeraient d’avis et décideraient des mesures nécessaires pour un retour à "l’âge d’or" de la psychiatrie, celui où d’immenses hôpitaux psychiatriques hébergeaient pour les soigner des milliers de malades mentaux. Cette résistance à l’évolution se solde aujourd’hui par une situation inacceptable dont les malades sont les premières victimes en étant rejetés dans la rue, reclus dans des hôtels miteux ou enfermés dans des prisons.

De surcroit, les personnels soignants des services d’hospitalisation souffrent des conséquences mal évaluées d’un hospitalocentrisme structurel duquel la psychiatrie n’arrive pas à se défaire. 70% de la ressource budgétaire est drainée vers des hôpitaux vétustes et obsolètes alors qu’elle aurait pu être investie dans des structures de soins de proximité : Centres Médico-psychologiques, C.A.T.T.P., foyers de post-cure, hôpitaux de jour.... Du coup, la baisse de la D.M.S. (Durée Moyenne de Séjour) ne s’est pas accompagnée d’une impression d’amélioration de la qualité des soins et la réalité des jeunes soignants qui travaillent dans les unités d’hospitalisation est de devoir gérer un sentiment d’insécurité tout en faisant face à un turn-over accéléré des malades.

Aujourd’hui, alors que tout ce temps n’a pas été mis à profit pour construire une offre de soins renouvelée, les professionnels de la psychiatrie vont se retrouver, sans moyens efficaces et sans stratégie, à devoir combattre les conséquences d’une politique répressive qui confond la maladie mentale et la délinquance, les problèmes de la santé et ceux de la justice.

La loi du 27 juin 1990

Lorsqu’en février 2007 Nicolas Sarkozy avait retiré les articles 18 à 24 de la loi "relative à la prévention de la délinquance" il s’était engagé, s’il était élu président de la République, à ouvrir un débat parlementaire pour entreprendre une réforme d’ensemble de la loi du 27 juin 1990. Aujourd’hui, il ne semble pas donner raison à ce qu’étaient ses intentions il y a encore quelques mois.

Depuis son entrée en application, et malgré les nombreux appels des professionnels de la psychiatrie, la loi de 1990 n’a jamais bénéficié d’une évaluation sérieuse comme cela avait été initialement prévu. Au moment où le gouvernement semble se tourner vers un certains nombre d’orientations, la nécessité d’ouvrir un grand débat sur les rapports de la psychiatrie et du droit s’impose. Au rythme des faits divers, Nicolas Sarkozy demande au ministre de la justice de trancher des questions qui peuvent remettre en cause certains principes du droit français : procès pour les irresponsables pénaux, enfermement préventif dans des hôpitaux-prisons des délinquants dangereux au delà de la fin de leur peine.

Depuis 1838 il existe dans le droit français un système de séparation de l’enfermement entre la contrainte pour raison pénale et la contrainte pour raison psychiatrique. Le président de la République oppose, en l’adoptant, le "droit des victimes" à celui du "droit des coupables" alors que le droit de punir vise à la défense de la société, non à sa vengeance ou à celle des victimes. Dans ce cas, chacun a beaucoup de mal à imaginer ce que serait le procès d’un "fou" qui ne comprendrait pas ce qui se passe. Les procès ne sont pas fait pour faire plaisir aux victimes mais aspirent à comprendre ce qui s’est passé.

Les libertés individuelles

La psychiatrie est une spécialité médicale, comme n’importe quelle autre. Cependant, l’importance du rapport des malades à leur environnement lui confère des spécificités historiques et politiques qui sont au cœur des préoccupations des soignants lorsqu’ils élaborent une prise en charge. Comme ce fut le cas à maintes reprises, la psychiatrie doit de nouveau faire face à des turpitudes d’ordre politique qui la replace dans son évolution historique et pose la nécessité d’une réflexion sur la place du droit. Faire valoir ses droits s’impose à celui qui bascule dans la maladie mentale, puisque bien souvent il est privé de sa liberté. Et c’est un principe de dignité que de vouloir réintroduire les droits de la défense dans l’hospitalisation sous contrainte.

Mais en psychiatrie, la question de la liberté ne peut pas se réduire à celle qui ne prendrait en compte que celle de l’individu. Elle doit également être envisagée sous le jeu des rapports que la malade entretient avec lui-même et avec le monde qui l’entoure : addictions, destin, fatalité, possibilités d’avoir accès aux soins et d’en user à sa guise, désir de s’occuper des autres ou de se désengager du monde. Dans tous les cas rien ne devrait pouvoir, en vertu d’un principe de précaution sociale, légitimer le droit à l’enfermement des personnes fragiles ou susceptibles de pouvoir passer à l’acte. Pour la psychiatrie, la restauration d’espaces de liberté aux personnes soignées est une question déontologique qui tend à s’opposer au maintien d’une loi spécifique pour les malades mentaux.

Le rôle de la psychiatrie dans la société

Les questions de santé mentale posent un choix à la société. La psychiatrie est riche d’un passé mais nécessite encore beaucoup de travail, notamment dans l’accès aux soins. Contrairement à ce qui existe au Canada, la France ne dispose pas d’un réseau primaire suffisamment organisé pour faciliter l’accueil de l’Autre de manière préventive. L’accès aux soins se fait de manière prédominante par les urgences ou les structures hospitalières. Les centres de soins de proximité ne sont pas assez développés et l’adéquation de la prise en charge n’est pas relayée par une information claire des Centres Médico-Psychologiques. Le système est cloisonné, inerte, et manque cruellement de coordination. Le problème pour être résolu doit aujourd’hui être considéré dans son ensemble. Il ne s’agit plus pour la psychiatrie de ne prescrire que des médicaments et d’hospitaliser, mais de donner des informations et d’accompagner les malades vers une insertion socio-professionnelle, domaine dans lequel la France est très en retard. Au total, il faudrait une grande loi pour définir une politique de santé mentale cohérente, volontariste, et à laquelle l’ensemble des citoyens pourrait coopérer.


Réseau, partenariat et alliance thérapeutique

La mobilisation de tous les acteurs de la psychiatrie et de la santé mentale devrait conduire à une réflexion globale pour soutenir la recherche et apporter des réponses innovantes. Pour l’O.M.S. les moyens de lutte recommandés doivent aller dans le sens d’un réel travail en partenariat et impliquer, dans une alliance thérapeutique, les usagers, les associations qui les représentent, les familles, les élus et les professionnels des champs sociaux et médicaux.

Dans le même temps, les pratiques de soins devraient évoluer vers une baisse des services d’hospitalisation fermés et favoriser le développement des soins intensifs à domicile par un accroissement du nombre des personnels travaillant en extra-hospitalier. Le travail en réseau devrait être renforcé entre les professionnels de la psychiatrie et les élus locaux, et être en contact plus étroit avec les médecins généralistes.

Enfin, des permanences téléphoniques constantes avec un interlocuteur soignant, l’information et la formation des personnels devraient être dynamisées et améliorées. Le but de cette mobilisation accrue en faveur des malades étant de désarticuler la folie du système judiciaire pour pouvoir travailler à la réhabilitation des handicapés psychiques et à leur intégration dans la cité.

Le rôle des associations

Dans le domaine de la santé mentale (contrairement à ce qui est observé pour la prise en charge des personnes atteintes du sida, par exemple) il n’existe pas d’intermédiaires entre les prescripteurs et les patients. Le fonctionnement du système de soins recèle donc une ambigüité puisque celui qui soigne est également celui qui enferme. Compte tenu de sa très forte imprégnation hospitalocentriste il y a, pour que la psychiatrie puisse évoluer, une nécessité à trouver quelque chose qui existe ailleurs que dans la discipline elle-même.

Mais la question des associations ne peut pas être réglée par un dialogue direct entre les malades et ceux qui les enferment. En revanche, les associations devraient pouvoir coopérer avec la recherche en démontrant, par exemple, les effets secondaires des médicaments employés pour soigner les maladies mentales.

Un choix de société

Nous vivons aujourd’hui dans une société tertiaire, en perpétuelle concurrence, où l’on voit de moins en moins ce que l’on produit, et dans laquelle tout n’est perçu qu’à travers le prisme de l’individu normé. La transformation est devenue invisible. Noyé dans la masse et dans sa souffrance psychique, le "fou" est sommé de se réaliser lui-même, poussé vers une alternative impossible qui le conduit à l’abandon. La psychiatrie doit se mettre au carrefour de la société. Le fou interpelle, la folie interpelle, et "une société se juge à la manière dont elle traite ses fous".

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